Les autres pensionnaires ont mis du temps à m'apparaître. Au début je me croyais seul. Puis j'ai réalisé que ce que je prenais pour des effets d'optiques, des ombres à l'extrémité de mon champ de vision, étaient des êtres doués de leur volonté propre. A force de concentration, comme on cherche à voir à travers une vitre dépolie, ces formes ont pris de plus en plus consistance, jusqu'à devenir des êtres humains dont l'apparence générale est celle de mes doigts. Leurs corps se finissent dans toutes les directions en s'élongeant et s'effilochant, de telle sorte qu'on ne voie pas la fin de leur être et le début du néant qui les entoure. Quand à communiquer avec eux...

IL Y A UN ENDROIT ICI OU SE TROUVE UN APPAREIL, APPELE "LA CONSOLE". DEPUIS LA CONSOLE JE PEUX ENVOYER DES MESSAGES COMME CELUI-CI. PAS BESOIN DE TAPER SUR LES TOUCHES DU CLAVIER, IL SUFFIT EN PRINCIPE DE PENSER CE QU'ON VEUT ECRIRE. MAIS JE NE PEUX PAS M'HABITUER, ALORS JE CONTINUE A UTILISER LE CLAVIER. MES DOIGTS N'ONT PAS L'APPARENCE QU'ILS AVAIENT AVANT MA MORT. ILS SONT PLUS LONGS, ET LEURS EXTREMITES SONT EFFILEES COMME SI ELLES SE DISSOLVAIENT PROGRESSIVMENT. MES DOIGTS EFFLEURENT LE CLAVIER ET LES LETTRES APPARAISSENT A L'ECRAN. LE MOUVEMENT MACHINAL M'AIDE A ME CONCENTRER. LES AUTRES PENSIONNAIRES...

Depuis deux mois je suis décédé, c'est arrivé un jour de fin juin, comme ça. Je suis mort de cesser de vivre, passé de vie à trépas comme on passe de chez soi à dehors, sans même y penser. De vivant, je suis devenu fantôme, pas de changement majeur pourtant, si ce n'est une drôle de sensation de moi-même, l'impression de vivre dans un monde rance, de respirer un air poussiéreux. Et pourtant, je n'ai pas changé, mais le monde qui m'entoure à changé. Heureusement (si ce terme à cours ici), je peux encore communiquer...